Génération
Il y a quelques jours, sur facebook, une amie postait le morceau "Declare independance" de Björk.
Des sons saturés, un rythme très marqué, des paroles simples et hurlées.
Un morceau révolté, violent, emporté, enlevé, rebelle, spontané.
Et nous ?
Un peu par hasard je retombe sur Solution de Saez. Je fais le lien avec le premier morceau, tempo enlevé sans être rapide, sons très saturés, texte rapide et un peu à l'emporte pièce bien que plus plus détaillé que celui de Björk.
Ce morceau est paru 2002.
10 ans.
Il devrait se passer des choses en 10 ans non ?
Le texte est toujours autant d'actualité.
Je ne me sens pas changé non plus.
J'écoutais ça au lycée, certains espéraient des solutions, d'autres non.
Rien n'a bougé, tant à l'échelle sociale et politique générale qu'à mon échelle personnelle.
On a beau être insastisfait la plupart du temps, on ne se révolte pas, on le dit tout bas, parfois avec virulence et conviction, puis "on fait avec".
Aujourd'hui une étudiante l'a dit en cours : "On fait avec"
Elle s'est reprise "Oui, enfin il faudrait pas, il faudrait que ça change bien sûr" comme si elle s'excusait d'un lapsus.
Ce lapsus est inquiétant.
Je suis comme elle.
Je pense et j'agis comme elle.
Et je suis inquiet moi-même.
Les temps sont à la conservation, à la restitution, à la sacralisation.
Les temps ne sont pas au bouleversement, on ne va pas de l'avant, on enfonce plutôt le clou.
Ceci pour les monuments historiques, comme pour les courants artistiques, les partis politiques, les systèmes économiques, la V° république, les pianistes de légende, la baguette à l'ancienne ou la piperade authentique.
On ne cesse de répéter que pour aller de l'avant il faut savoir d'où l'on vient, j'ai plutôt le sentiment que plus l'on sait d'où l'on vient, plus on y reste.
Au XVIII° et au XIX° siècle on n'hésitait pas une seconde a raser de "vieux bâtiments" pour en construire de nouveaux, à balayer les anciens compositeurs pour faire du neuf, à changer de régime politique et à innover dans beaucoup de domaines et ainsi de suite jusqu'au années 1950.
Ensuite, je me demande...
Il y a 1968 qui a changé de nombreux points, oui c'est indéniable, mais depuis ?
Alors qu'on a l'impression que "aujourd'hui tout va plus vite" quels changements radicaux ont eu lieux depuis 40 ans en France, en Europe, dans le monde occidental ?
Je me trompe peut-être, mais je ne vois qu'une lente et méticuleuse décrépitude.
Un homme qui s'enfonce dans la boue, tout doucement. Et c'est tout juste s'il s'en rends compte au moment où ses bras, pris dans les sables mouvants, ne parviennent plus à bouger.
Ma bouche et mon cerveau fonctionnent bien, mais mes bras ne bougent pas.
Je "fais avec".
Je mène ma vie tant bien que mal, je n'essaie pas de réussir, je tente juste de "m'en sortir".
J'ai revu mes ambitions à la baisse.
J'ai fais des compromis avec mes rêves.
Il paraît que nous sommes la première génération à vivre "moins bien" que nos parents.
Malgré ce genre de constatation, malgré les crises, malgré les analyses que chacun fait de l'individualisme on n'ose même pas réver, ou juste évoquer, un quelconque soulèvement. Chacun essaie de s'en sortir de son côté, chacun essaie de garantir sa propre issue pour lui-même, sa famille s'il en possède une, éventuellement quelques rares amis. On ne sait pas se rassembler plus massivement que ça. On ne sait pas être avec les autres. Nos parents (pas les soixante-huitards, la génération venant juste après, ayant eu 20 ans vers 1980/85) nous ont appris à cultiver une certaine indépendance de l'autre, une individualité propre et souveraine sur nos agissements, nos pensées.
Au final, nous sommes tous seuls.
Moi, je ne sais même pas dire à mes amis que je les aime, ils doivent le deviner.
J'ai beau dire et penser tout ça, me le figurer clairement j'en fais quoi ?
Je suis toujours étudiant, plutôt dans le profil devenu courant du "chômeur sur-diplomé".
Comme beaucoup de mon âge j'ai également une situation sentimentale sans queue ni tête.
J'ai juste l'envie de trouver un poste comme prof de guitare, pour enseigner la musique, dans un coin, sagement, et profiter de mes week-end et de mes vacances pour voyager un peu, faire des concerts, composer, dans mon coin avec le petit cercle de gens que j'aime.
Je pourrais avoir honte, mais non. Bizarrement.
Peut-être que la honte n'intervient que quand on a le sentiment de pouvoir agir autrement.
Le seul acte violent, de rebellion ou du moins de volonté de changement que je peux manifester est dans l'interprétation instrumentale ou chantée, voire la composition ou l'écriture si un jour j'arrive à me remettre à écrire des paroles en français.
Là je veux du mouvement, de l'extrème, là je peux le faire...
Là uniquement.
Et à défaut d'arriver à écrire moi-même, je ne fais que restituer les chansons d'avant et ainsi contribuer moi-même à la glorification du passé et au statisme actuel.